Maisune vérité qui s’applique à tous les corps, sans concerner spécialement aucun de ceux que j’ai vus, ne copie rien, ne reproduit rien. Bergson, La Pensée et le Mouvant Ce corrigébts professions immobilières 2020 ; tony gallopin et sa nouvelle compagne Mon - Sun 10:00 - 20:00. lettre de demande de réduction des frais de scolarité pdf; garp one piece fruit du démon; liste des chaînes canal+ plus; macaron vanille cyril lignac; définition de colonie grecque. Home; About Us; Services; Cars; Blog; Contact; radis jaune coréen bienfaits. explication de Usinagemseriada de peças técnicas; parpaing chaînage 15 brico dépôt; horaire bus ligne 7 aubagne gémenos; INÍCIO; EMPRESA; PRODUTOS; USINAGEM; NOTÍCIAS; CONTATO; le possible et le réel bergson explication. Treinamentos 6 de novembro de 2019. 0. Publicado por Publicado por 16 de novembro de 2021. Categorias . recette pistou traditionnelle ; Tags lesnécessités de l’action tendent à limiter le champ de la vision. » Henri Bergson, La pensée et le mouvant Il faut être attentif à la première phrase (thèse de l’auteur) : l’art viserait c’est-à-dire Nousabordons le langage aujourdâ hui, par le problème philosophique du rapport entre la pensée et le langage: entre lâ intériorité de la pensée et lâ extériorit corrigéexplication de texte bergson, lenergie spirituelle Professional Voice Over Artist (443) 907-6131 | fabricant de lunettes dans le jura. 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Il obtient l'agrégation de Philosophie en 1881 et enseigne à Angers, puis à soutenance de thèse Les données immédiates de la conscience, mention "honorable"1897 Matière et Mémoire - professeur à Paris1900 Maître de conférences à l' professeur au Collège de France1900 Le rire1907 L'évolution créatrice1919 L'énergie spirituelle articles et conférences1922 Durée et simultanéité1928 Prix Nobel1932 Les deux sources de la morale et de la religion1934 La pensée et le mouvantBergson est attiré par le catholicisme, mais renonce à se convertir par solidarité avec les autres juifs persécutésIl meurt le 4 janvier 1941Sa femme, sa fille, Paul Valéry académie française et Edouard Le Roy, son successeur au Collège de France suivent sa Bergson fit preuve d'un grand courage personnel et d'une impressionnante dignité en assumant ouvertement son judaïsme et en refusant les hautes protections dont il aurait pu bénéficier. On sait moins qu'il joua un rôle politique et diplomatique important pendant la première guerre mondiale il fit partie d'une mission chargée de convaincre les Américains d'entrer en guerre aux côtés des Alliés et entre les deux guerres, auprès du président Wilson et du gouvernement américain ; il est l'un des inspirateurs de la société des nations SDN, l'ancêtre de l'organisation des nations unies ONU, ainsi que de l'UNESCO. Bergson pensait que l'éducation et la culture était appelées à jouer un grand rôle dans le maintien de la paix par le développement de l'intelligence, du respect de l'autre et de l'esprit en 1881-1883, alors qu'il est professeur à Angers que Bergson devient bergsonien. Séduit par l'évolutionnisme mécaniste de Spencer, il songe à rédiger une thèse d'épistémologie et médite sur les notions fondamentales de la science moderne. Influencé par la théorie de l'évolution, il réfléchit sur la notion de temps et fait une découverte capitale ce que la science appelle "temps" n'est pas réellement le temps, la durée concrète et vivante on pourrait imaginer une accélération du cours du temps et un vieillissement plus rapide, sans que la science ait à modifier aucune de ses lois. La science nie la durée sans s'en apercevoir ; quand le savant prétend mesurer le temps, c'est l'espace qu'il mesure l'espace parcouru par un mobile en mouvement supposé uniforme ; une heure comporte 6 fois 10 minutes temps homogène, calqué sur l'espace, différent de la durée psychologique, telle que ma conscience l'éprouve. Une heure ne "passe" pas de la même manière selon que je m'ennuie ou que je me durée intérieure n'est ni homogène, ni mesurable, ni accessible aux prises de la et durée Les sciences de la matière sont des sciences de l'espace, l'intelligence excelle à connaître l'espace car elle s'est d'abord exercée sur le monde extérieur, sur la nature, mais elle ne comprend pas la vie. L'homme a été pressé par les exigences de l'action homo faber ; dans ce long commerce avec la matière, l'intelligence a pris des habitudes bien enracinées celle d'expliquer en divisant, en analysant, en mesurant. La mesure est liée à l'analyse de l'espace mesurer, c'est reporter une unité de longueur sur une longueur donnée, c'est l'acte essentiel des sciences de la matière. Bergson ne critique pas la science, mais le scientisme, la tendance à hypostasier la science, à en faire un absolu, la mesure de la vérité, à vouloir tout expliquer par la science ; la science atteint en effet la vérité, mais uniquement dans son domaine, le domaine spatial. Façonnée par l'action sur le monde extérieur, l'intelligence a tendance à ignorer la durée, la vie, elle ne peut comprendre le mouvant indivisible de toute vie, notamment de la vie intérieure concrète, fluide et continue. Pour connaître le mouvant, la vie, la durée, il faut faire appel à l'intuition autre concept clé chez Bergson, "sympathie par laquelle on se transporte à l'intérieur d'un objet pour coïncider avec lui, avec ce qu'il a d'unique, d'inexprimable."L'évolution créatrice a La plupart des évolutionnistes nient toute création ; ils déduisent les formes les plus complexes de la vie à partir des formes élémentaires, ils déduisent la vie de la matière. Selon Darwin, le milieu sélectionne mécaniquement les êtres vivants, seuls les mieux adaptés survivent ; l'oeil se réduit à des éléments optiques et nerveux. Pour Bergson, l'évolution ne trace pas une voie tracée d' Pour Bergson, l'évolution n'a lieu que parce que "l'élan vital" ou l'élan créateur fait sugir des formes vivantes de plus en plus complexes, des nouveautés imprévisibles qui sont autant de solutions originales à un problème posé par les nécessités vitales. L'évolution créatrice s'oppose donc à l'évolutionnisme matérialiste. L'esprit est de la matière évoluée, complexifiée, la matière a l'esprit comme origine lointaine. L'étendue matérielle est la retombée de l'élan vital, l'extension une tension qui s'est détendue, une durée morte, une durée dont l'élan s'est figé. La matière est un produit dévitalisé de l'élan vital, de l'esprit L'intelligence n'est pas un perfectionnement de l'instinct, l'intelligence et l'instinct sont deux solutions différentes, aussi élégantes l'une que l'autre, au problème de l'adaptation biologique. instinct l'élan vital donne à l'animal des instruments tout faits et l'aptitude innée à s'en il donne à l'animal humain les moyens de fabriquer des suppose la conscience, le choix, la liberté, mais l'aptitude à utiliser les choses, la technique n'est pas une connaissance profonde et intime. La science demande "Comment ça marche ?" et non "Que signifie cela, qu'est que cela véritablement ?"L'intuition rassemble la sympathie divinatrice de l'instinct et la clairvoyance de l'intelligence. Dans l'intuition, L'élan vital se réfléchit lui-même comme dans un de L'évolution créatrice "Je constate d'abord que je passe d'état en état. J'ai chaud ou j'ai froid, je suis gai ou je suis triste, je travaille ou je ne fais rien, je change donc sans cesse. Mais ce n'est pas assez dire. Le changement est bien plus radical qu'on ne le croirait d' parle, en effet, de chacun de mes états comme s'il faisait bloc. Je dis bien que je change, mais le changement m'a l'air de résider dans le passage d'un état à l'état suivant ; de chaque état pris à part, j'aime à croire qu'il reste ce qu'il est pendant tout le temps qu'il se produit. Pourtant un léger effort d'attention me révélerait qu'il n'y a pas d'affection, pas de volition qui ne se modifie à tout moment ; si un état d'âme cessait de varier, sa durée cesserait de couler. Prenons le plus stable des états internes, la perception visuelle d'un objet extérieur immobile. L'objet a beau rester le même, j'ai beau le regarder du même côté, sous le même angle, au même jour la vision que j'en ai n'en diffère pas moins de celle que je viens d'avoir, quand ce ne serait que parce qu'elle a vieilli d'un instant. Ma mémoire est là, qui pousse quelque chose de ce passé dans ce présent. Mon état d'âme, en avançant sur la route du temps, s'enfle continuellement de la durée qu'il ramasse ; il fait, pour ainsi dire boule de neige avec lui-même." Henri Bergson, L’évolution créatriceCommentaire et intérêt philosophique du texte L'erreur de la pensée classique, selon Bergson, réside dans le fait d'avoir divisé le changement, le mouvement, ce qui n'est possible que si, sous le changement, on suppose une texture, un tissu toujours identique ; c'est ce que met en relief Descartes dans la Méditation II le morceau de cire et Kant dans La Critique de la Raison pure, Analytique des principes, deuxième analogie on ne peut comprendre le changement, selon Kant, qu'en le réduisant à la relation a priori de causalité. Or la catégorie de la causalité suppose encore celle de substance. La pensée classique, donc, fait du changement le changement de quelque chose qui demeure. Or, selon Bergson, ce faisant, on se trompe. En effet, il n'y a pas de moments, "d'états", c'est artificiellement qu'on les distingue. Le changement, en réalité, est continu, perpétuel."Je constate d'abord que je passe d'état en état" Bergson part d'une opinion courante qui n'a pas encore été soumise à la réflexion et à la critique philosophique. Si je prête une attention superficielle à ma vie intérieure, je constate que je passe par une série d'états différenciés. Bergson en donne trois exemples le passage d'une sensation de chaleur à une sensation de froid, le passage d'un sentiment à un autre la joie, puis la tristesse, le passage de l'activité à l'inertie. C'est ce passage d'un état à un autre que l'opinion définit comme "changement"."Mais ce n'est pas assez dire..." Or, en définissant ainsi le changement, objecte Bergson, nous nous trompons ; nous concevons en fait le changement comme le passage d'un état à un autre, d'une essence stable à une autre essence stable. Comme si nous étions tout entiers perception de chaleur, puis perception de froid, sentiment de gaité, puis de tristesse, tout entiers "travailleurs", puis "inactifs"."Pourtant un léger effort d'attention me révélerait..." Mais pour peu que nous prêtions attention à ce qui se produit en nous, nous comprendrions que notre vie psychique est tout entière dans ses modifications, elle est fluence de part en part. Cet effort d'attention, ce n'est pas à l'esprit d'analyse qu'il faut le demander, car l'intelligence analytique, au moyen des concepts, divise le donné en états distincts, mais à l'intuition. En effet, seule l'intuition, qui est la véritable attention à ce qui se passe réellement en nous, peut nous faire connaître la vraie nature du temps qui est durée se modifie en nous, à tous moments, aussi bien ce qui tient à notre affectivité émotions, sentiments, plaisir, douleur... que ce qui tient à un acte de l'esprit qui doit aboutir à l'exécution d'une action la volition.On pourrait croire qu'il y a davantage de stabilité dans un acte de volonté que dans un état affectif parce que lorsque nous exerçons notre volonté, nous nous sentons tout entiers tendus vers un but unique, mais il n'en est changement ne peut se comprendre qu'à partir du changement et non à partir de la stabilité, car si nous admettons qu'il y a des états stables, nous arrêtons le temps réel, le temps vécu, la durée qui ne cesse de couler et nous nous interdisons de la comprendre. La continuité n'est pas divisible. "Prenons le plus stable des états internes..." l'exemple le plus défavorable sera le plus apte à conforter la thèse, s'il s'avère qu'il l'illustre encore. La perception d'un objet immobile paraît beaucoup plus stable qu'une sensation, un sentiment ou une volition, parce que rien ne nous semble plus stable qu'un objet. Or, même si l'on admet que l'objet ne change pas et même si je m'oblige à le regarder fixement, ma vision de cet objet n'est jamais la même. La vision que j'ai actuellement de cet objet a vieilli d'un instant. Elle a donc changé, au moins sous le rapport du temps."Ma mémoire est là..." La fin du texte fait intervenir la notion de mémoire, notion centrale dans la psychologie bergsonienne Matière et Mémoire. C'est la mémoire qui unifie mes états de conscience et me permet de ressentir cet instant comme présent par rapport à un instant révolu. Il s'agit, en l’occurrence, non pas de la mémoire habitude que j'exerce quand je récite une leçon que j'ai apprise par cœur, mais de la mémoire pure, où le souvenir est représentation pure. Le passé est conservé dans sa totalité et vient sans cesse "pousser" l'instant présent. Le texte se clôt sur une comparaison ce processus est à l'image d'une boule de neige qui, tout d'abord de petite taille, se grossit continuellement en roulant sur une pente. Ainsi en est-il de notre vie intérieure ; mon état d'âme actuel est nourri du souvenir d'un état antérieur, comme le suivant le sera de mon état actuel et de tous mes états antérieurs. Tout change sans cesse, rien ne se répète, mais rien n'est vraiment détruit, du changement une série d'états juxtaposés, c'est dénaturer le temps en l'assimilant à l'espace. Le temps, la durée, procèdent de l'instinct vital qui n'existe que comme continu que dans la mesure où il change moment n'existe pour ma conscience que dans sa propre différence avec un autre moment ; c'est donc la différence et l'hétérogénéité des "moments" qui fonde la continuité de la durée. On ne peut rien comprendre à partir de l'immuable ; coïncider avec la durée vécue, c'est s'éveiller à une certaine manière de philosopher "La pensée du mouvement met la pensée en mouvement." 17 octobre 2013 4 17 /10 /octobre /2013 1016 Bergson – La pensée et le mouvant – Introduction, Le Mouvement rétrograde du Vrai » Telle est, consciemment ou inconsciemment, la pensée de la plupart des philosophes, en conformité d’ailleurs avec les exigences de l’entendement, avec les nécessités du langage, avec le symbolisme de la science. Aucun d’eux n’a cherché au temps des attributs positifs. Ils traitent la succession comme une coexistence manquée, et la durée comme une privation d’éternité. De là vient qu’ils n’arrivent pas, quoi qu’ils fassent, à se représenter la nouveauté radicale et l’imprévisibilité. … Ceux mêmes, en très petit nombre, qui ont cru au libre arbitre, l’ont réduit à un simple choix » entre deux ou plusieurs partis, comme si ces partis étaient des possibles » dessinés d’avance et comme si la volonté se bornait à réaliser » l’un d’eux. Ils admettent donc encore, même s’ils ne s’en rendent pas compte, que tout est donné. D’une action qui serait entièrement neuve au moins par le dedans et qui ne préexisterait en aucune manière, pas même sous forme de pur possible, à sa réalisation, ils semblent ne se faire aucune idée. Telle est pourtant l’action libre. Mais pour l’apercevoir ainsi, comme d’ailleurs pour se figurer n’importe quelle création, nouveauté ou imprévisibilité, il faut se replacer dans la durée pure. …. Mais nous avons tant de peine à distinguer entre la succession dans la durée vraie et la juxtaposition dans le temps spatial, entre une évolution et un déroulement, entre la nouveauté radicale et un réarrangement du préexistant, enfin entre la création et le simple choix, qu’on ne saurait éclairer cette distinction par trop de côtés à la fois. Disons donc que dans la durée, envisagée comme une évolution créatrice, il y a création perpétuelle de possibilité et non pas seulement de réalité. Beaucoup répugneront à l’admettre, parce qu’ils jugeront toujours qu’un événement ne serait pas accompli s’il n’avait pas pu s’accomplir de sorte qu’avant d’être réel, il faut qu’il ait été possible. …. Quand un musicien compose une symphonie, son œuvre était-elle possible avant d’être réelle ? Oui si l’on entend par là qu’il n’y avait pas d’obstacle insurmontable à sa réalisation. Mais de ce sens tout négatif du mot on passe, sans y prendre garde, à un sens positif on se figue que tout chose qui se produit aurait pu être aperçue d’avance par quelque esprit suffisamment informé, et qu’elle préexistait ainsi, sous forme d’idée, à sa réalisation ; - conception absurde dans le cas d’une œuvre d’art, car dès que le musicien a l’idée précise et complète de la symphonie qu’il fera, sa symphonie est faite. Ni dans la pensée de l’artiste, ni, à plus forte raison, dans aucune autre pensée comparable à la nôtre, fût-elle impersonnelle, fût-elle même simplement virtuelle, la symphonie ne résidait en qualité de possible avant d’être réelle. » Bergson – La pensée et le mouvant – Le possible et le réel ». Au fond des doctrines qui méconnaissent la nouveauté radicale de chaque moment de l’évolution il y a bien des malentendus, bien des erreurs. Mais il y a surtout l’idée que le possible est moins que le réel, et que, pour cette raison, la possibilité des choses précède leur existence. Elles seraient ainsi représentables par avance ; elles pourraient être pensées avant d’être réalisées. Mais c’est l’inverse qui est la vérité. Si nous laissons de côté les systèmes clos, soumis à des lois purement mathématiques, isolables parce que la durée ne mord pas sur eux, si nous considérons l’ensemble de la réalité concrète ou tout simplement le mode de la vie, et à plus forte raison celui de la conscience, nous trouvons qu’il y a plus, et non pas moins, dans la possibilité de chacun des états successifs que dans leur réalité. Car le possible n’est que le réel avec, en plus, un acte de l’esprit qui en rejette l’image dans le passé une fois qu’il s’est produit. Mais c’est ce que nos habitudes intellectuelles nous empêchent d’apercevoir. Au cours de la grande guerre, des journaux et des revues se détournaient parfois des terribles inquiétudes du présent pour penser à ce qui se passerait plus tard, une fois la paix établie. L’avenir de la littérature, en particulier, les préoccupait. On vint un jour me demander comment je me le représentais. Je déclarai, un peu confus, que je ne me le représentai pas. N’apercevez-vous pas tout au moins, me dit-on, certaines directions possibles ? Admettons qu’on ne puisse prévoir le détail ; vous avez du moins, vous philosophe, une idée de l’ensemble. Comment concevez-vous, par exemple, la grande œuvre dramatique de demain ? » Je me rappellerai toujours la surprise de mon interlocuteur quand je lui répondis Si je savais ce que sera la grand œuvre dramatique de demain, je la ferais. » Je vis bien qu’il concevait l’œuvre future comme enfermée, dès lors, dans je ne sais quelle armoire aux possibles ; je devais, en considération de mes relations déjà anciennes avec la philosophie, avoir obtenu la clef de l’armoire. Mais, lui dis-je, l’œuvre dont vous parlez n’est pas encore possible. » - Il faut pourtant bien qu’elle le soit, puisqu’elle se réalisera. » - Nin, elle ne l’est pas. Je vous accorde, tout au plus, qu’elle l’aura été. » - Qu’entendez-vous par là ? » - C’est bien simple. Qu’un homme de talent ou de génie surgisse, qu’il crée une œuvre la voilà réelle et par là même elle devient rétrospectivement ou rétroactivement possible. Elle ne le serait pas, elle ne l’aurait pas été si cet homme n’avait pas surgi. C’est pourquoi je vous dis qu’elle aura été possible aujourd’hui, mais qu’elle ne l’est pas encore. » … Le tort des doctrines, - bien rares dans l’histoire de la philosophie, - qui ont su faire une place à l’indétermination et à la liberté dans le monde, est de n’avoir pas vu ce que leur affirmation impliquait. Quand elles parlaient d’indétermination, de liberté, elles entendaient par indétermination une compétition entre des possibles, par liberté un choix entre les possibles – comme si la possibilité n’était pas créée par la liberté même ! » Published by N'DIAYE - dans Textes pour le cours IIILE POSSIBLE ET LE RÉEL Essai publié dans la revue suédoise Nordisk Tidskriften novembre 1930[1]. Je voudrais revenir sur un sujet dont j’ai déjà parlé, la création continue d’imprévisible nouveauté qui semble se poursuivre dans l’univers. Pour ma part, je crois l’expérimenter à chaque instant. J’ai beau me représenter le détail de ce qui va m’arriver combien ma représentation est pauvre, abstraite, schématique, en comparaison de l’événement qui se produit ! La réalisation apporte avec elle un imprévisible rien qui change tout. Je dois, par exemple, assister à une réunion ; je sais quelles personnes j’y trouverai, autour de quelle table, dans quel ordre, pour la discussion de quel problème. Mais qu’elles viennent, s’assoient et causent comme je m’y attendais, qu’elles disent ce que je pensais bien qu’elles diraient l’ensemble me donne une impression unique et neuve, comme s’il était maintenant dessiné d’un seul trait original par une main d’artiste. Adieu l’image que je m’en étais faite, simple juxtaposition, figurable par avance, de choses déjà connues ! Je veux bien que le tableau n’ait pas la valeur artistique d’un Rembrandt ou d’un Velasquez il est tout aussi inattendu et, en ce sens, aussi original. On alléguera que j’ignorais le détail des circonstances, que je ne disposais pas des personnages, de leurs gestes, de leurs attitudes, et que, si l’ensemble m’apporte du nouveau, c’est qu’il me fournit un surcroît d’éléments. Mais j’ai la même impression de nouveauté devant le déroulement de ma vie intérieure. Je l’éprouve, plus vive que jamais, devant l’action voulue par moi et dont j’étais seul maître. Si je délibère avant d’agir, les moments de la délibération s’offrent à ma conscience comme les esquisses successives, chacune seule de son espèce, qu’un peintre ferait de son tableau et l’acte lui-même, en s’accomplissant, a beau réaliser du voulu et par conséquent du prévu, il n’en a pas moins sa forme originale. — Soit, dira-t-on ; il y a peut-être quelque chose d’original et d’unique dans un état d’âme ; mais la matière est répétition ; le monde extérieur obéit à des lois mathématiques ; une intelligence surhumaine, qui connaîtrait la position, la direction et la vitesse de tous les atomes et électrons de l’univers matériel à un moment donné, calculerait n’importe quel état futur de cet univers, comme nous le faisons pour une éclipse de soleil ou de lune. — Je l’accorde, à la rigueur, s’il ne s’agit que du monde inerte, et bien que la question commence à être controversée, au moins pour les phénomènes élémentaires. Mais ce monde n’est qu’une abstraction. La réalité concrète comprend les êtres vivants, conscients, qui sont encadrés dans la matière inorganique. Je dis vivants et conscients, car j’estime que le vivant est conscient en droit ; il devient inconscient en fait là où la conscience s’endort, mais, jusque dans les régions où la conscience somnole, chez le végétal par exemple, il y a évolution réglée, progrès défini, vieillissement, enfin tous les signes extérieurs de la durée qui caractérise la conscience. Pourquoi d’ailleurs parler d’une matière inerte où la vie et la conscience s’inséreraient comme dans un cadre ? De quel droit met-on l’inerte d’abord ? Les anciens avaient imaginé une Âme du Monde qui assurerait la continuité d’existence de l’univers matériel. Dépouillant cette conception de ce qu’elle a de mythique, je dirais que le monde inorganique est une série de répétitions ou de quasi-répétitions infiniment rapides qui se somment en changements visibles et prévisibles. Je les comparerais aux oscillations du balancier de l’horloge celles-ci sont accolées à la détente continue d’un ressort qui les relie entre elles et dont elles scandent le progrès ; celles-là rythment la vie des êtres conscients et mesurent leur durée. Ainsi, l’être vivant dure essentiellement ; il dure, justement parce qu’il élabore sans cesse du nouveau et parce qu’il n’y a pas d’élaboration sans recherche, pas de recherche sans tâtonnement. Le temps est cette hésitation même, ou il n’est rien du tout. Supprimez le conscient et le vivant et vous ne le pouvez que par un effort artificiel d’abstraction, car le monde matériel, encore une fois, implique peut-être la présence nécessaire de la conscience et de la vie, vous obtenez en effet un univers dont les états successifs sont théoriquement calculables d’avance, comme les images, antérieures au déroulement, qui sont juxtaposées sur le film cinématographique. Mais alors, à quoi bon le déroulement ? Pourquoi la réalité se déploie-t-elle ? Comment n’est-elle pas déployée ? À quoi sert le temps ? Je parle du temps réel, concret, et non pas de ce temps abstrait qui n’est qu’une quatrième dimension de l’espace[2]. Tel fut jadis le point de départ de mes réflexions. Il y a quelque cinquante ans, j’étais fort attaché à la philosophie de Spencer. Je m’aperçus, un beau jour, que le temps n’y servait à rien, qu’il ne faisait rien. Or ce qui ne fait rien n’est rien. Pourtant, me disais-je, le temps est quelque chose. Donc il agit. Que peut-il bien faire ? Le simple bon sens répondait le temps est ce qui empêche que tout soit donné tout d’un coup. Il retarde, ou plutôt il est retardement. Il doit donc être élaboration. Ne serait-il pas alors véhicule de création et de choix ? L’existence du temps ne prouverait-elle pas qu’il y a de l’indétermination dans les choses ? Le temps ne serait-il pas cette indétermination même ? Si telle n’est pas l’opinion de la plupart des philosophes, c’est que l’intelligence humaine est justement faite pour prendre les choses par l’autre bout. Je dis l’intelligence, je ne dis pas la pensée, je ne dis pas l’esprit. À côté de l’intelligence il y a en effet la perception immédiate, par chacun de nous, de sa propre activité et des conditions où elle s’exerce. Appelez-la comme vous voudrez ; c’est le sentiment que nous avons d’être créateurs de nos intentions, de nos décisions, de nos actes, et par là de nos habitudes, de notre caractère, de nous-mêmes. Artisans de notre vie, artistes même quand nous le voulons, nous travaillons continuellement à pétrir, avec la matière qui nous est fournie par le passé et le présent, par l’hérédité et les circonstances, une figure unique, neuve, originale, imprévisible comme la forme donnée par le sculpteur à la terre glaise. De ce travail et de ce qu’il a d’unique nous sommes avertis, sans doute, pendant qu’il se fait, mais l’essentiel est que nous le fassions. Nous n’avons pas à l’approfondir ; il n’est même pas nécessaire que nous en ayons pleine conscience, pas plus que l’artiste n’a besoin d’analyser son pouvoir créateur ; il laisse ce soin au philosophe, et se contente de créer. En revanche, il faut que le sculpteur connaisse la technique de son art et sache tout ce qui s’en peut apprendre cette technique concerne surtout ce que son œuvre aura de commun avec d’autres ; elle est commandée par les exigences de la matière sur laquelle il opère et qui s’impose à lui comme à tous les artistes ; elle intéresse, dans l’art, ce qui est répétition ou fabrication, et non plus la création même. Sur elle se concentre l’attention de l’artiste, ce que j’appellerais son intellectualité. De même, dans la création de notre caractère, nous savons fort peu de chose de notre pouvoir créateur pour l’apprendre, nous aurions à revenir sur nous-mêmes, à philosopher, et à remonter la pente de la nature, car la nature a voulu l’action, elle n’a guère pensé à la spéculation. Dès qu’il n’est plus simplement question de sentir en soi un élan et de s’assurer qu’on peut agir, mais de retourner la pensée sur elle-même pour qu’elle saisisse ce pouvoir et capte cet élan, la difficulté devient grande, comme s’il fallait invertir la direction normale de la connaissance. Au contraire, nous avons un intérêt capital à nous familiariser avec la technique de notre action, c’est-à-dire à extraire, des conditions où elle s’exerce, tout ce qui peut nous fournir des recettes et des règles générales sur lesquelles s’appuiera notre conduite. Il n’y aura de nouveauté dans nos actes que grâce à ce que nous aurons trouvé de répétition dans les choses. Notre faculté normale de connaître est donc essentiellement une puissance d’extraire ce qu’il y a de stabilité et de régularité dans le flux du réel. S’agit-il de percevoir ? La perception se saisit des ébranlements infiniment répétés qui sont lumière ou chaleur, par exemple, et les contracte en sensations relativement invariables ce sont des trillions d’oscillations extérieures que condense à nos yeux, en une fraction de seconde, la vision d’une couleur. S’agit-il de concevoir ? Former une idée générale est abstraire des choses diverses et changeantes un aspect commun qui ne change pas ou du moins qui offre à notre action une prise invariable. La constance de notre attitude, l’identité de notre réaction éventuelle ou virtuelle à la multiplicité et à la variabilité des objets représentés, voilà d’abord ce que marque et dessine la généralité de l’idée. S’agit-il enfin de comprendre ? C’est simplement trouver des rapports, établir des relations stables entre des faits qui passent, dégager des lois opération d’autant plus parfaite que la relation est plus précise et la loi plus mathématique. Toutes ces fonctions sont constitutives de l’intelligence. Et l’intelligence est dans le vrai tant qu’elle s’attache, elle amie de la régularité et de la stabilité, à ce qu’il y a de stable et de régulier dans le réel, à la matérialité. Elle touche alors un des côtés de l’absolu, comme notre conscience en touche un autre quand elle saisit en nous une perpétuelle efflorescence de nouveauté ou lorsque, s’élargissant, elle sympathise avec l’effort indéfiniment rénovateur de la nature. L’erreur commence quand l’intelligence prétend penser un des aspects comme elle a pensé l’autre, et s’employer à un usage pour lequel elle n’a pas été faite. J’estime que les grands problèmes métaphysiques sont généralement mal posés, qu’ils se résolvent souvent d’eux-mêmes quand on en rectifie l’énoncé, ou bien alors que ce sont des problèmes formulés en termes d’illusion, et qui s’évanouissent dès qu’on regarde de près les termes de la formule. Ils naissent, en effet, de ce que nous transposons en fabrication ce qui est création. La réalité est croissance globale et indivisée, invention graduelle, durée tel, un ballon élastique qui se dilaterait peu à peu en prenant à tout instant des formes inattendues. Mais notre intelligence s’en représente l’origine et l’évolution comme un arrangement et un réarrangement de parties qui ne feraient que changer de place ; elle pourrait donc, théoriquement, prévoir n’importe quel état d’ensemble en posant un nombre défini d’éléments stables, on s’en donne implicitement, par avance, toutes les combinaisons possibles. Ce n’est pas tout. La réalité, telle que nous la percevons directement, est du plein qui ne cesse de se gonfler, et qui ignore le vide. Elle a de l’extension, comme elle a de la durée ; mais cette étendue concrète n’est pas l’espace infini et infiniment divisible que l’intelligence se donne comme un terrain où construire. L’espace concret a été extrait des choses. Elles ne sont pas en lui, c’est lui qui est en elles. Seulement, dès que notre pensée raisonne sur la réalité, elle fait de l’espace un réceptacle. Comme elle a coutume d’assembler des parties dans un vide relatif, elle s’imagine que la réalité comble je ne sais quel vide absolu. Or, si la méconnaissance de la nouveauté radicale est à l’origine des problèmes métaphysiques mal posés, l’habitude d’aller du vide au plein est la source des problèmes inexistants. Il est d’ailleurs facile de voir que la seconde erreur est déjà impliquée dans la première. Mais je voudrais d’abord la définir avec plus de précision. Je dis qu’il y a des pseudo-problèmes, et que ce sont les problèmes angoissants de la métaphysique. Je les ramène à deux. L’un a engendré les théories de l’être, l’autre les théories de la connaissance. Le premier consiste à se demander pourquoi il y a de l’être, pourquoi quelque chose ou quelqu’un existe. Peu importe la nature de ce qui est dites que c’est matière, ou esprit, ou l’un et l’autre, ou que matière et esprit ne se suffisent pas et manifestent une Cause transcendante de toute manière, quand on a considéré des existences, et des causes, et des causes de ces causes, on se sent entraîné dans une course à l’infini. Si l’on s’arrête, c’est pour échapper au vertige. Toujours on constate, on croit constater que la difficulté subsiste, que le problème se pose encore et ne sera jamais résolu. Il ne le sera jamais, en effet, mais il ne devrait pas être posé. Il ne se pose que si l’on se figure un néant qui précéderait l’être. On se dit il pourrait ne rien y avoir », et l’on s’étonne alors qu’il y ait quelque chose — ou Quelqu’un. Mais analysez cette phrase il pourrait ne rien y avoir ». Vous verrez que vous avez affaire à des mots, nullement à des idées, et que rien » n’a ici aucune signification. Rien » est un terme du langage usuel qui ne peut avoir de sens que si l’on reste sur le terrain, propre à l’homme, de l’action et de la fabrication. Rien » désigne l’absence de ce que nous cherchons, de ce que nous désirons, de ce que nous attendons. À supposer, en effet, que l’expérience nous présentât jamais un vide absolu, il serait limité, il aurait des contours, il serait donc encore quelque chose. Mais en réalité il n’y a pas de vide. Nous ne percevons et même ne concevons que du plein. Une chose ne disparaît que parce qu’une autre l’a remplacée. Suppression signifie ainsi substitution. Seulement, nous disons suppression » quand nous n’envisageons de la substitution qu’une de ses deux moitiés, ou plutôt de ses deux faces, celle qui nous intéresse ; nous marquons ainsi qu’il nous plaît de diriger notre attention sur l’objet qui est parti, et de la détourner de celui qui le remplace. Nous disons alors qu’il n’y a plus rien, entendant par là que ce qui est ne nous intéresse pas, que nous nous intéressons à ce qui n’est plus là ou à ce qui aurait pu y être. L’idée d’absence, ou de néant, ou de rien, est donc inséparablement liée à celle de suppression, réelle ou éventuelle, et celle de suppression n’est elle-même qu’un aspect de l’idée de substitution. Il y a là des manières de penser dont nous usons dans la vie pratique ; il importe particulièrement à notre industrie que notre pensée sache retarder sur la réalité et rester attachée, quand il le faut, à ce qui était ou à ce qui pourrait être, au lieu d’être accaparée par ce qui est. Mais quand nous nous transportons du domaine de la fabrication à celui de la création, quand nous nous demandons pourquoi il y a de l’être, pourquoi quelque chose ou quelqu’un, pourquoi le monde ou Dieu existe et pourquoi pas le néant, quand nous nous posons enfin le plus angoissant des problèmes métaphysiques, nous acceptons virtuellement une absurdité ; car si toute suppression est une substitution, si l’idée d’une suppression n’est que l’idée tronquée d’une substitution, alors parler d’une suppression de tout est poser une substitution qui n’en serait pas une c’est se contredire soi-même. Ou l’idée d’une suppression de tout a juste autant d’existence que celle d’un carré rond — l’existence d’un son, flatus vocis, — ou bien, si elle représente quelque chose, elle traduit un mouvement de l’intelligence qui va d’un objet à un autre, préfère celui qu’elle vient de quitter à celui qu’elle trouve devant elle, et désigne par absence du premier » la présence du second. On a posé le tout, puis on a fait disparaître, une à une, chacune de ses parties, sans consentir à voir ce qui la remplaçait c’est donc la totalité des présences, simplement disposées dans un nouvel ordre, qu’on a devant soi quand on veut totaliser les absences. En d’autres termes, cette prétendue représentation du vide absolu est, en réalité, celle du plein universel dans un esprit qui saute indéfiniment de partie à partie, avec la résolution prise de ne jamais considérer que le vide de sa dissatisfaction au lieu du plein des choses. Ce qui revient à dire que l’idée de Rien, quand elle n’est pas celle d’un simple mot, implique autant de matière que celle de Tout, avec, en plus, une opération de la pensée. J’en dirais autant de l’idée de désordre. Pourquoi l’univers est-il ordonné ? Comment la règle s’impose-t-elle à l’irrégulier, la forme à la matière ? D’où vient que notre pensée se retrouve dans les choses ? Ce problème, qui est devenu chez les modernes le problème de la connaissance après avoir été, chez les anciens, le problème de l’être, est né d’une illusion du même genre. Il s’évanouit si l’on considère que l’idée de désordre a un sens défini dans le domaine de l’industrie humaine ou, comme nous disons, de la fabrication, mais non pas dans celui de la création. Le désordre est simplement l’ordre que nous ne cherchons pas. Vous ne pouvez pas supprimer un ordre, même par la pensée, sans en faire surgir un autre. S’il n’y a pas finalité ou volonté, c’est qu’il y a mécanisme ; si le mécanisme fléchit, c’est au profit de la volonté, du caprice, de la finalité. Mais lorsque vous vous attendez à l’un de ces deux ordres et que vous trouvez l’autre, vous dites qu’il y a désordre, formulant ce qui est en termes de ce qui pourrait ou devrait être, et objectivant votre regret. Tout désordre comprend ainsi deux choses en dehors de nous, un ordre ; en nous, la représentation d’un ordre différent qui est seul à nous intéresser. Suppression signifie donc encore substitution. Et l’idée d’une suppression de tout ordre, c’est-à-dire d’un désordre absolu, enveloppe alors une contradiction véritable, puisqu’elle consiste à ne plus laisser qu’une seule face à l’opération qui, par hypothèse, en comprenait deux. Ou l’idée de désordre absolu ne représente qu’une combinaison de sons, flatus vocis, ou, si elle répond à quelque chose, elle traduit un mouvement de l’esprit qui saute du mécanisme à la finalité, de la finalité au mécanisme, et qui, pour marquer l’endroit où il est, aime mieux indiquer chaque fois le point où il n’est pas. Donc, à vouloir supprimer l’ordre, vous vous en donnez deux ou plusieurs. Ce qui revient à dire que la conception d’un ordre venant se surajouter à une absence d’ordre » implique une absurdité, et que le problème s’évanouit. Les deux illusions que je viens de signaler n’en font réellement qu’une. Elles consistent à croire qu’il y a moins dans l’idée du vide que dans celle du plein, moins dans le concept de désordre que dans celui d’ordre. En réalité, il y a plus de contenu intellectuel dans les idées de désordre et de néant, quand elles représentent quelque chose, que dans celles d’ordre et d’existence, parce qu’elles impliquent plusieurs ordres, plusieurs existences et, en outre, un jeu de l’esprit qui jongle inconsciemment avec eux. Eh bien, je retrouve la même illusion dans le cas qui nous occupe. Au fond des doctrines qui méconnaissent la nouveauté radicale de chaque moment de l’évolution il y a bien des malentendus, bien des erreurs. Mais il y a surtout l’idée que le possible est moins que le réel, et que, pour cette raison, la possibilité des choses précède leur existence. Elles seraient ainsi représentables par avance elles pourraient être pensées avant d’être réalisées. Mais c’est l’inverse qui est la vérité. Si nous laissons de côté les systèmes clos, soumis à des lois purement mathématiques, isolables parce que la durée ne mord pas sur eux, si nous considérons l’ensemble de la réalité concrète ou tout simplement le monde de la vie, et à plus forte raison celui de la conscience, nous trouvons qu’il y a plus, et non pas moins, dans la possibilité de chacun des états successifs que dans leur réalité. Car le possible n’est que le réel avec, en plus, un acte de l’esprit qui en rejette l’image dans le passé une fois qu’il s’est produit. Mais c’est ce que nos habitudes intellectuelles nous empêchent d’apercevoir. Au cours de la grande guerre, des journaux et des revues se détournaient parfois des terribles inquiétudes du présent pour penser à ce qui se passerait plus tard, une fois la paix rétablie. L’avenir de la littérature, en particulier, les préoccupait. On vint un jour me demander comment je me le représentais. Je déclarai, un peu confus, que je ne me le représentais pas. N’apercevez-vous pas tout au moins, me dit-on, certaines directions possibles ? Admettons qu’on ne puisse prévoir le détail ; vous avez du moins, vous philosophe, une idée de l’ensemble. Comment concevez-vous, par exemple, la grande œuvre dramatique de demain ? » Je me rappellerai toujours la surprise de mon interlocuteur quand je lui répondis Si je savais ce que sera la grande œuvre dramatique de demain, je la ferais. » Je vis bien qu’il concevait l’œuvre future comme enfermée, dès alors, dans je ne sais quelle armoire aux possibles ; je devais, en considération de mes relations déjà anciennes avec la philosophie, avoir obtenu d’elle la clef de l’armoire. Mais, lui dis-je, l’œuvre dont vous parlez n’est pas encore possible. » — Il faut pourtant bien qu’elle le soit, puisqu’elle se réalisera. » — Non, elle ne l’est pas. Je vous accorde, tout au plus, qu’elle l’aura été. » — Qu’entendez-vous par là ? » — C’est bien simple. Qu’un homme de talent ou de génie surgisse, qu’il crée une œuvre la voilà réelle et par là même elle devient rétrospectivement ou rétroactivement possible. Elle ne le serait pas, elle ne l’aurait pas été, si cet homme n’avait pas surgi. C’est pourquoi je vous dis qu’elle aura été possible aujourd’hui, mais qu’elle ne l’est pas encore. » — C’est un peu fort ! Vous n’allez pas soutenir que l’avenir influe sur le présent, que le présent introduit quelque chose dans le passé, que l’action remonte le cours du temps et vient imprimer sa marque en arrière ? » — Cela dépend. Qu’on puisse insérer du réel dans le passé et travailler ainsi à reculons dans le temps, je ne l’ai jamais prétendu. Mais qu’on y puisse loger du possible, ou plutôt que le possible aille s’y loger lui-même à tout moment, cela n’est pas douteux. Au fur et à mesure que la réalité se crée, imprévisible et neuve, son image se réfléchit derrière elle dans le passé indéfini ; elle se trouve ainsi avoir été, de tout temps, possible ; mais c’est à ce moment précis qu’elle commence à l’avoir toujours été, et voilà pourquoi je disais que sa possibilité, qui ne précède pas sa réalité, l’aura précédée une fois la réalité apparue. Le possible est donc le mirage du présent dans le passé ; et comme nous savons que l’avenir finira par être du présent, comme l’effet de mirage continue sans relâche à se produire, nous nous disons que dans notre présent actuel, qui sera le passé de demain, l’image de demain est déjà contenue quoique nous n’arrivions pas à la saisir. Là est précisément l’illusion. C’est comme si l’on se figurait, en apercevant son image dans le miroir devant lequel on est venu se placer, qu’on aurait pu la toucher si l’on était resté derrière. En jugeant d’ailleurs ainsi que le possible ne présuppose pas le réel, on admet que la réalisation ajoute quelque chose à la simple possibilité le possible aurait été là de tout temps, fantôme qui attend son heure ; il serait donc devenu réalité par l’addition de quelque chose, par je ne sais quelle transfusion de sang ou de vie. On ne voit pas que c’est tout le contraire, que le possible implique la réalité correspondante avec, en outre, quelque chose qui s’y joint, puisque le possible est l’effet combiné de la réalité une fois apparue et d’un dispositif qui la rejette en arrière. L’idée, immanente à la plupart des philosophies et naturelle à l’esprit humain, de possibles qui se réaliseraient par une acquisition d’existence, est donc illusion pure. Autant vaudrait prétendre que l’homme en chair et en os provient de la matérialisation de son image aperçue dans le miroir, sous prétexte qu’il y a dans cet homme réel tout ce qu’on trouve dans cette image virtuelle avec, en plus, la solidité qui fait qu’on peut la toucher. Mais la vérité est qu’il faut plus ici pour obtenir le virtuel que le réel, plus pour l’image de l’homme que pour l’homme même, car l’image de l’homme ne se dessinera pas si l’on ne commence par se donner l’homme, et il faudra de plus un miroir. » C’est ce qu’oubliait mon interlocuteur quand il me questionnait sur le théâtre de demain. Peut-être aussi jouait-il inconsciemment sur le sens du mot possible ». Hamlet était sans doute possible avant d’être réalisé, si l’on entend par là qu’il n’y avait pas d’obstacle insurmontable à sa réalisation. Dans ce sens particulier, on appelle possible ce qui n’est pas impossible et il va de soi que cette non-impossibilité d’une chose est la condition de sa réalisation. Mais le possible ainsi entendu n’est à aucun degré du virtuel, de l’idéalement préexistant. Fermez la barrière, vous savez que personne ne traversera la voie il ne suit pas de là que vous puissiez prédire qui la traversera quand vous ouvrirez. Pourtant du sens tout négatif du terme possible » vous passez subrepticement, inconsciemment, au sens positif. Possibilité signifiait tout à l’heure absence d’empêchement » ; vous en faites maintenant une préexistence sous forme d’idée », ce qui est tout autre chose. Au premier sens du mot, c’était un truisme de dire que la possibilité d’une chose précède sa réalité vous entendiez simplement par là que les obstacles, ayant été surmontés, étaient surmontables[3]. Mais, au second sens, c’est une absurdité, car il est clair qu’un esprit chez lequel le Hamlet de Shakespeare se fût dessiné sous forme de possible en eût par là créé la réalité c’eût donc été, par définition, Shakespeare lui-même. En vain vous vous imaginez d’abord que cet esprit aurait pu surgir avant Shakespeare c’est que vous ne pensez pas alors à tous les détails du drame. Au fur et à mesure que vous les complétez, le prédécesseur de Shakespeare se trouve penser tout ce que Shakespeare pensera, sentir tout ce qu’il sentira, savoir tout ce qu’il saura, percevoir donc tout ce qu’il percevra, occuper par conséquent le même point de l’espace et du temps, avoir le même corps et la même âme c’est Shakespeare lui-même. Mais j’insiste trop sur ce qui va de soi. Toutes ces considérations s’imposent quand il s’agit d’une œuvre d’art. Je crois qu’on finira pas trouver évident que l’artiste crée du possible en même temps que du réel quand il exécute son œuvre. D’où vient donc qu’on hésitera probablement à en dire autant de la nature ? Le monde n’est-il pas une œuvre d’art, incomparablement plus riche que celle du plus grand artiste ? Et n’y a-t-il pas autant d’absurdité, sinon davantage, à supposer ici que l’avenir se dessine d’avance, que la possibilité préexistait à la réalité ? Je veux bien, encore une fois, que les états futurs d’un système clos de points matériels soient calculables, et par conséquent visibles dans son état présent. Mais, je le répète, ce système est extrait ou abstrait d’un tout qui comprend, outre la matière inerte et inorganisée, l’organisation. Prenez le monde concret et complet, avec la vie et la conscience qu’il encadre ; considérez la nature entière, génératrice d’espèces nouvelles aux formes aussi originales et aussi neuves que le dessin de n’importe quel artiste ; attachez-vous, dans ces espèces, aux individus, plantes ou animaux, dont chacun a son caractère propre — j’allais dire sa personnalité car un brin d’herbe ne ressemble pas plus à un autre brin d’herbe qu’un Raphaël à un Rembrandt ; haussez-vous, par-dessus l’homme individuel, jusqu’aux sociétés qui déroulent des actions et des situations comparables à celles de n’importe quel drame comment parler encore de possibles qui précéderaient leur propre réalisation ? Comment ne pas voir que si l’événement s’explique toujours, après coup, par tels ou tels des événements antécédents, un événement tout différent se serait aussi bien expliqué, dans les mêmes circonstances, par des antécédents autrement choisis — que dis-je ? par les mêmes antécédents autrement découpés, autrement distribués, autrement aperçus enfin par l’attention rétrospective ? D’avant en arrière se poursuit un remodelage constant du passé par le présent, de la cause par l’effet. Nous ne le voyons pas, toujours pour la même raison, toujours en proie à la même illusion, toujours parce que nous traitons comme du plus ce qui est du moins, comme du moins ce qui est du plus. Remettons le possible à sa place l’évolution devient tout autre chose que la réalisation d’un programme les portes de l’avenir s’ouvrent toutes grandes ; un champ illimité s’offre à la liberté. Le tort des doctrines, — bien rares dans l’histoire de la philosophie, — qui ont su faire une place à l’indétermination et à la liberté dans le monde, est de n’avoir pas vu ce que leur affirmation impliquait. Quand elles parlaient d’indétermination, de liberté, elles entendaient par indétermination une compétition entre des possibles, par liberté un choix entre les possibles, — comme si la possibilité n’était pas créée par la liberté même ! Comme si toute autre hypothèse, en posant une préexistence idéale du possible au réel, ne réduisait pas le nouveau à n’être qu’un réarrangement d’éléments anciens ! comme si elle ne devait pas être amenée ainsi, tôt ou tard, à le tenir pour calculable et prévisible ! En acceptant le postulat de la théorie adverse, on introduisait l’ennemi dans la place. Il faut en prendre son parti c’est le réel qui se fait possible, et non pas le possible qui devient réel. Mais la vérité est que la philosophie n’a jamais franchement admis cette création continue d’imprévisible nouveauté. Les anciens y répugnaient déjà, parce que, plus ou moins platoniciens, ils se figuraient que l’Être était donné une fois pour toutes, complet et parfait, dans l’immuable système des Idées le monde qui se déroule à nos yeux ne pouvait donc rien y ajouter ; il n’était au contraire que diminution ou dégradation ; ses états successifs mesureraient l’écart croissant ou décroissant entre ce qu’il est, ombre projetée dans le temps, et ce qu’il devrait être, Idée assise dans l’éternité ; ils dessineraient les variations d’un déficit, la forme changeante d’un vide. C’est le Temps qui aurait tout gâté. Les modernes se placent, il est vrai, à un tout autre point de vue. Ils ne traitent plus le Temps comme un intrus, perturbateur de l’éternité ; mais volontiers ils le réduiraient à une simple apparence. Le temporel n’est alors que la forme confuse du rationnel. Ce qui est perçu par nous comme une succession d’états est conçu par notre intelligence, une fois le brouillard tombé, comme un système de relations. Le réel devient encore une fois l’éternel, avec cette seule différence que c’est l’éternité des Lois en lesquelles les phénomènes se résolvent, au lieu d’être l’éternité des Idées qui leur servent de modèle. Mais, dans un cas comme dans l’autre, nous avons affaire à des théories. Tenons-nous-en aux faits. Le Temps est immédiatement donné. Cela nous suffit, et, en attendant qu’on nous démontre son inexistence ou sa perversité, nous constaterons simplement qu’il y a jaillissement effectif de nouveauté imprévisible. La philosophie y gagnera de trouver quelque absolu dans le monde mouvant des phénomènes. Mais nous y gagnerons aussi de nous sentir plus joyeux et plus forts. Plus joyeux, parce que la réalité qui s’invente sous nos yeux donnera à chacun de nous, sans cesse, certaines des satisfactions que l’art procure de loin en loin aux privilégiés de la fortune ; elle nous découvrira, par delà la fixité et la monotonie qu’y apercevaient d’abord nos sens hypnotisés par la constance de nos besoins, la nouveauté sans cesse renaissante, la mouvante originalité des choses. Mais nous serons surtout plus forts, car à la grande œuvre de création qui est à l’origine et qui se poursuit sous nos yeux nous nous sentirons participer, créateurs de nous-mêmes. Notre faculté d’agir, en se ressaisissant, s’intensifiera. Humiliés jusque-là dans une attitude d’obéissance, esclaves de je ne sais quelles nécessités naturelles, nous nous redresserons, maîtres associés à un plus grand Maître. Telle sera la conclusion de notre étude. Gardons-nous de voir un simple jeu dans une spéculation sur les rapports du possible et du réel. Ce peut être une préparation à bien vivre. ↑ Cet article était le développement de quelques vues présentées à l’ouverture du meeting philosophique » d’Oxford, le 24 septembre 1920. En l’écrivant pour la revue suédoise Nordisk Tidskrift, nous voulions témoigner du regret que nous éprouvions de ne pouvoir aller faire une conférence à Stockholm, selon l’usage, à l’occasion du prix Nobel. L’article n’a paru, jusqu’à présent, qu’en langue suédoise. ↑ Nous avons montré en effet, dans notre Essai sur les données immédiates de la conscience, Paris, 1889, p. 82, que le Temps mesurable pouvait être considéré comme une quatrième dimension de l’Espace ». Il s’agissait, bien entendu, de l’Espace pur, et non pas de l’amalgame Espace-Temps de la théorie de la Relativité, qui est tout autre chose. ↑ Encore faut-il se demander dans certains cas si les obstacles ne sont pas devenus surmontables grâce à l’action créatrice qui les a surmontés l’action, imprévisible en elle-même, aurait alors créé la surmontabilité ». Avant elle, les obstacles étaient insurmontables, et, sans elle, ils le seraient restés.

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